Naître que soi-même
Naître de ses voyages. Combien de temps est-il nécessaire à l’homme avant d’être ? Combien d’années pour se rencontrer ? Combien de départs avant le grand retour ? C’est à ces questions que nous confronte Le Roi des ruines, troisième album d’Andoni Iturrioz. À tout cela, à toutes les frontières d’une existence que l’aède n’a de cesse de soumettre aux horizons de l’oxymore.
D’origine Basque, Andoni Iturrioz naît à Paris en 1976 et grandit, au rythme des déménagements entre Paris, Barcelone, Londres et le Pays Basque. À 19 ans, il fait céder la digue de son besoin d’ailleurs, de son appétit de vie, et part globe-trotter durant cinq années, d’Asie en Afrique, d’Océanie en Europe de l’Est. Cinq années « à la roots », vagabond solitaire, miroir involontaire d’un Jack Kerouac, longtemps après la Beat Generation.
Chacun sa figure archétypale, pour Andoni Iturrioz, cela aurait pu être Don Quichotte ou Arthur Rimbaud dont l’Alchimie du verbe résonne à l’unisson en maints vers du Basque, mais ce sera finalement à un autre roi des ruines, Michel Vieuchange, bien moins célèbre mais lui aussi chantre du désert et des terres à rides, premier occidental à atteindre la ville de Smara auquel Andoni Iturrioz rendra hommage (Smara).
Le Roi des ruines, album concept, est l’aboutissement de près de vingt ans d’apprentissage de soi par l’écriture.
En 2001, après son tour du monde, Andoni pose le sac à dos à Barcelone et entre dans un sas de resédentarisation. Avec l’envie de faire de la chanson son mode d’expression. C’est le début de Je Rigole, puis viennent les premières scènes, consécutives à son arrivée à Paris en 2007. Ce sera enfin l’éclosion discographique en 2012 avec Qui chante le matin est peut-être un oiseau. La chanson découvre alors un auteur hors norme, un orfèvre de premier rang, dont la forme musicale traditionnelle des morceaux est contrastée par une langue probablement puisée à l’école des plus grands révolutionnaires du style. L’homme aux semelles de vent en tête. Dès ses premières illuminations, Je Rigole fraie son chemin entre profondeur, existentiel et burlesque. Deux ans plus tard, avec L’Insolitude, Je Rigole fait tomber le masque, Andoni récupère son nom, et enfonce le clou d’un sarcasme noir – conjuration d’une souffrance universelle – que l’on retrouve également dans La Joie noire, en ouverture du Roi des ruines, histoire de rendre l’horreur à la Beauté. (« Entendu que la Beauté a toujours raison / Et qu’il nous faut en être un creuset / L’horreur a son potentiel / C’est le cri », La Joie noire).
Rampe existentielle, aboutissement personnel … Le Roi des ruines est l’album d’un voyageur devenu sédentaire. L’invitation est celle d’un voyage intérieur.
Huit titres tendant vers l’infini où se toisent blues-rock, injecté par le groupe La Danse du Chien, embardées transversales de Samuel Cajal (Ex 3mn sur mer), mélodies de Lisa Portelli (Dans la Rocaille est également sur son album La Nébuleuse), rythmes de Maeki Maii (le peplum La Fabuleuse Histoire de Judas Iscariote est présent sur l’album Du Crack dans le Danube du rappeur suisse) ou encore Olé, autre peplum épiphanique librement inspiré et en hommage à Olé de John Coltrane. Bertrand Louis, le fidèle compagnon de route, assure la direction musicale (et certaines compositions) pour trouver la media via d’où résulte une renaissance accouchée de ses contraires, comme le cri lové au creux du chuchotement.
Tel Dante qui voyage aux Enfers à la recherche de Béatrice, Le Roi des ruines est à la fois caravane et chronique qui s’enfonce au tréfonds de l’âme. Chemin initiatique qui se nourrit du socle des références civilisationnelles universelles, bibliques. Andoni Iturrioz utilise une matière ancestrale et multiséculaire pour en faire jaillir un syncrétisme contemporain et personnel, accouché de la rencontre de toutes les tensions pour faire jaillir le juste – donc le Beau – du paradoxe de nos existences. Alchimiste du verbe, disions-nous.
David Desreumaux